mercredi 4 juin 2014

Roland Garros : et si Nadal avait été droitier ?


Le numéro un mondial vise un neuvième titre en dix ans à Roland Garros. Grâce à son mental d'acier et son physique hors norme. Et sa patte gauche, aussi ?

Rafael Nadal face au Serbe Dusan Lajovic, à Roland-Garros, le 2 juin 2014 (photo inversée). (AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK) Rafael Nadal face au Serbe Dusan Lajovic, à Roland-Garros, le 2 juin 2014 (photo inversée). (AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK)
"Si Rafael Nadal était droitier, Roger Federer aurait remporté au moins trois tournois du Grand Chelem de plus." Cette phrase, signée John McEnroe, peut faire sourire. Mais elle soulève une question intéressante. Surtout quand c'est un autre gaucher au moins aussi célèbre que l'actuel numéro un mondial qui met le sujet sur la table [McEnroe, c'est 76 titres en simple et 70 en double, NDLR]. Est-ce que "Big Mac" n'aurait pas en partie raison ? Et si Rafael Nadal tirait avantage - en plus de son mental d'acier et de son physique hors norme - de sa condition de gaucher sur les courts (lui qui est droitier dans la vie de tous les jours) ?
Et s'il avait été droitier, tiens, serait-il aussi fort ? Serait-il un numéro 1 mondial, en course pour décrocher, à 28 ans, un neuvième titre (!) en dix ans à Roland Garros ? "Le Nouvel Observateur" est allé poser la question à quelques spécialistes, dont son entraîneur, dans les travées des courts de la Porte d'Auteuil.

Le gaucher, un spécimen rare au très haut niveau

Des gauchers célèbres et brillants, il y en a eu d'autres avant l'Espagnol. Trois d'entre eux sont même au Panthéon du tennis : Rod Laver, Jimmy Connors et… John McEnroe. Il n'en reste pas moins que les gauchers sont beaucoup moins nombreux que les droitiers au très haut niveau. Rafael Nadal est ainsi le seul joueur gaucher du top 20 actuellement (l'Espagnol Fernando Verdasco, deuxième gaucher au classement ATP, ne pointe qu'au 25e rang).
Les gauchers sont donc rares parmi le gratin mondial. Ce qui pose évidemment des problèmes d'adaptation aux droitiers, trop habitués à jouer contre des miroirs et ancrés dans des schémas de jeu difficiles à corriger, comme le confie Sébastien Grosjean, ex-numéro 4 mondial et coach de Richard Gasquet : "La différence, c'est que, face à un gaucher, le joueur adverse doit s'adapter, parce qu'il en joue moins souvent." C'est tout particulièrement vrai au service, précisément parce que les joueurs sont souvent décontenancés par les trajectoires adverses. "Au service, jouer contre un gaucher, ça change pas mal la donne", estime le joueur français Edouard Roger-Vasselin, 51e joueur mondial.
"Comme on ne joue quasiment que des droitiers, on n'a pas trop l'habitude de ces effets. Rafa ne sert pas super bien mais finalement il gêne tout le monde avec son service. C'est plus dur à retourner."

Gaucher contrariant plutôt que droitier contrarié

Et puis, il y a cette fameuse diagonale gauche-droite, si souvent fatale à Federer lorsqu'il affronte son meilleur ennemi. Celle qui permet au gaucher de pilonner le revers adverse, avec son coup droit, le coup fort de la grande majorité des joueurs du circuit. L'arme principale de Nadal - même s'il dispose de bien d'autres schémas de jeu dans son répertoire - pour prendre l'avantage dans l'échange contre la quasi-totalité de ses adversaires.
Un schéma que seul Novak Djokovic parvient à contrer, même si le Serbe a dû essuyer de nombreuses défaites avant d'y parvenir (comme Lendl avec McEnroe). Le Serbe, qui, comme Nadal, dispose d'un physique et d'une science du jeu exceptionnels, est aujourd'hui le seul - avec Andy Murray peut-être - à disposer d'un revers capable de tenir le choc face au terrible coup droit lifté de l'Espagnol.
La légende veut que ce soit Toni Nadal, oncle et coach du numéro un mondial, qui l'ait poussé à jouer de la main gauche, notamment parce qu'il savait que le jeu de gaucher poserait des problèmes à ses adversaires. Ce dont se défend l'intéressé, qui raconte :
Non, je ne voulais pas que Rafa joue avec l'autre main. Je pensais simplement qu'il était plus à l'aise en gaucher à la façon dont il tenait sa raquette.
"Jeune, il frappait toujours avec deux mains et quand il voulait frapper plus fort, ça partait toujours de l'avant-bras et du poignet gauche. La seule chose que j'ai décidé, c'est qu'il ne devait plus jouer à deux mains, surtout pour le coup droit", explique le coach de toujours.  Nadal n'est donc pas un droitier contrarié. Simplement un gaucher contrariant, comme l'aurait dit Desproges.
Et pas question de parler d'avantage pour Toni Nadal. C'est une idée qui aurait même plutôt tendance à agacer l'oncle du champion. "Non, je ne crois pas que ce soit un avantage d'être gaucher. Sinon il y aurait d'autres gauchers parmi les meilleurs joueurs du monde, non ?" CQFD.

La tête et les jambes, plus important que le (gros) bras

Et en droitier alors, Rafa, ça aurait donné quoi ? "Qu'il joue de la main droite ou de la main gauche, la force mentale de Nadal aurait été la même, assure Sébastien Grosjean. Il aurait sûrement développé d'autres qualités dans son jeu. Il servirait plus fort, puisqu'il est droitier dans la vie de tous les jours [c'est également ce qu'avance son coach Toni Nadal, NDLR]. De toute façon, avec son mental et son physique, il aurait gagné de grands tournois", assure l'ancien demi-finaliste de trois des quatre tournois du Grand Chelem.
"Il faut être fort mentalement et physiquement pour toujours reproduire les mêmes efforts. Si vous regardez tous les matchs de Nadal contre Federer, oui, il joue beaucoup sur le revers de Roger mais il n'hésite pas non plus à aller plein coup droit, à changer de plan de jeu", ajoute Grosjean.
Il n'y a pas que la diagonale gauche-droite. Nadal a une énorme qualité de relance, une très grosse puissance de frappe et s'il était droitier, il serait encore plus puissant."
"Droitier ou gaucher, je ne pense pas que ça change finalement beaucoup du fond du court, résume Edouard Roger-Vasselin. En droitier, Rafa aurait trouvé d'autres solutions que la diagonale coup droit-revers, et ça aurait été un monstre pareil."
 Le mot de la fin revient finalement à un Sébastien Grosjean amusé : "Et si Federer avait été gaucher, est-ce qu'il aurait gagné 17 Grands Chelems ? Moins ? Plus ?" Bonne question.

Source: http://tempsreel.nouvelobs.com/roland-garros/20140604.OBS9367/roland-garros-et-si-nadal-avait-ete-droitier.html

 

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