Ce qui paraissait impensable autrement que comme une vague hypothèse de travail, de celles que l'on évoque sans y croire, pour étendre le champ des possibles, est arrivé. Rafael Nadal a perdu (6-2, 6-7, 6-4, 7-6), dimanche 31 mai, à Roland-Garros.
Encore eût-il perdu au cours d'une finale accrochée... On aurait alors pu qualifier ce match d'historique ou d'anthologique, qu'importe que ces mots soient galvaudés. Mais non. Il s'est incliné modestement, au cours d'une banale rencontre de 8es de finale, face à un adversaire sans prestige, le Suédois Robin Söderling (25e mondial), qu'il avait jusqu'alors battu trois fois sur trois. Lors de leur dernier tête-à-tête, à Rome, il n'y avait même pas eu de match : 6-1, 6-0, une humiliation.
Rafael Nadal était le maître des lieux comme aucun avant lui ne l'avait été, pas même Bjorn Borg. La terre battue était son empire, et Roland-Garros son temple. Jusqu'à ce dimanche 31 mai, que les légitimistes verront comme un jour bien sombre, et que le public a accueilli comme une libération.
Qu'a-t-il bien pu se passer ?
Söderling était certes réputé talentueux, mais inconstant. Un faible, disait-on, qui craque dans les moments importants. L'un de ces joueurs à ranger dans la catégorie des potentiels mal exploités, des espoirs éternels, qui n'ont pas ce qui fait les champions : le fameux mental, la tour de contrôle des émotions.
Les rôles étaient distribués. Tout était clair, limpide, écrit. Puis rien ne s'est passé, ce dimanche, comme prévu. Rafael Nadal ? Velléitaire, incapable de prendre le jeu à son compte, médiocre au service comme en retour. Robin Söderling ? Incroyable de précision dans un festival de frappes cristallines, solide lorsque le fil de la partie s'est montré indécis.
Le Suédois a gagné et a fait plus que cela : il a dominé, sans cesse, l'Espagnol, cantonné dans un rôle de spectateur qui ne lui sied guère.
Qu'a-t-il bien pu se passer ? "Je n'ai pas bien joué. J'ai joué trop court. Je lui ai rendu le match facile. Je n'ai jamais été serein, à aucun moment du match", a expliqué le Majorquin. "J'ai très bien joué. S'il pense qu'il a mal joué, très bien, c'est son choix. Je ne dirais jamais quelque chose comme ça...", a répondu le Suédois, poursuivant la partie. Les deux hommes, c'est de notoriété publique, ne s'apprécient guère.
Rafael Nadal a refusé de se trouver des excuses. Le vent ? "Non, non, c'est la même chose pour tout le monde." La fatigue accumulée depuis le début de la saison, le meilleur de sa carrière, qui lui a permis de consolider sa place de numéro un mondial ? "Non, je ne suis pas fatigué." Mais alors, pourquoi ? "Vous savez, j'ai perdu. C'est tout ce que j'ai à dire. J'ai perdu. (...) Parfois, se battre n'est pas assez. Il faut bien jouer. Parfois, les gens pensent que je gagne grâce à ma condition physique. Mais non. Quand je gagne, c'est parce que je joue bien, ce qui n'a pas été le cas aujourd'hui."
Robin Söderling, lui, a livré en guise d'explications les raisons ordinaires de ceux qui ont réussi un exploit. Rien de plus. "Avant le match, je me suis dit que je devais y croire, autrement ce n'était pas la peine d'entrer sur le court. (...) Je me suis dit que c'était un match ordinaire. Juste un match de plus. J'en ai joué beaucoup, des matches... Je deviens vieux !" A 24 ans, il a, dit-il, "vécu le plus grand moment de sa carrière". L'Espagnol, né le 3 juin 1986, constate de son côté que pour la première fois depuis quatre ans, il ne "fêter (a) pas son anniversaire à Roland-Garros".
Que va-t-il bien pouvoir se passer, maintenant ? Le tournoi a perdu son souverain. Roger Federer, qui régna si longtemps sur le tennis, avant d'être déchu par Rafael Nadal, pourrait ironiquement en profiter pour coiffer la seule couronne qui manque à son palmarès, celle de Roland-Garros. Mais rien n'est moins sûr. Le tournoi est subitement devenu ouvert. C'est vertigineux, tant on en avait perdu l'habitude.
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